Question intéressante, qui est au moins un sujet de thèse
L'impérialisme n'est pas une donnée spécifiquement romaine. De fait, tout état veut se protéger des agressions extérieures, donc en vient tôt ou tard à attaquer ses ennemis directs, suivant le fameux adage «si vis pacem, para bellum», qui ramène en fait toute politique agressive à une défense préventive
La suite est bien connue, après les ennemis directs, il y a les menaces potentielle, et l'engrenage sans fin des amis des ennemis qui deviennent de nouveaux ennemis.
Rome, jusqu'au 3ème siècle av. JC, n'est qu'une cité parmi d'autres de l'Italie centrale, environnée de tribus belliqueuses (Marses, Samnites,,,), de voisins plus civilisés (Etrusques) et de populations franchement «barbares» (celtes). D'où toute une série de guerres (avec des hauts et des bas) qui provoquent le développement d'une mentalité guerrière.
Les historiens semblent de plus en plus admettre que durant cette période, Rome conclut une alliance avec la riche cité de Capoue, en Italie du sud (d'où serait originaire en particulier l'illustre famille des Appii Claudii), et s'implique dans la politique locale. D'où le conflit avec les cités grecques d'Italie du Sud, l'intervention de Pyrrhus d'Epire, puis les visées sur la Sicile, le conflit avec Carthage, les guerres puniques...
L'intervention en Grèce est extrêmement éclairante : en 216, Rome paraît vaincue après la saignée subie à Cannes. Hannibal conclut un traité d'alliance avec Philippe V de Macédoine, probablement de pure circonstance, car le macédonien ne fera pratiquement rien contre Rome, sauf peut-être soutenir en sous main la piraterie en mer Adriatique. Néanmoins, dès que les romains en ont fini avec Carthage, ils se retournent contre la Macédoine et débarquent en Grèce, sous prétexte de «libérer» les cités grecques (on verra de quelle manière quand ils raseront Corinthe en -146, après que les grecs aient eu l'ingratitude de se révolter contre leurs «libérateurs»). Or, je le répète, la Macédoine n'est pas une menace pour Rome, car elle ne s'est jamais intéressée qu'aux jeux de pouvoir entre les héritiers de l'empire d'Alexandre, c'est à dire à l'Orient et à la Grèce. D'où l'affaiblissement de la Macédoine après Magnésie, l'intervention d'Antiochos III (un grand fauve séleucide qui voudrait remplacer la Macédoine en Grèce)... et l'irruption de Rome en Orient.
Tout cela se passe, faut-il le dire, bien avant l'apparition des généraux avides de conquêtes et d'argent afin de prendre le pouvoir à Rome et avant le développement de la classe des chevaliers et la montée en puissance des publicains, qui gagnent énormément d'argent en exploitant les conquêtes (ce qui sera ultérieurement un moteur important de l'impérialisme romain).
Alors en quoi Rome serait-elle différente ?
Les historiens anglophones font remarquer que Rome a développé une conception de la guerre nouvelle. Les guerres grecques et hellénistiques ne se traduisent pas par la destruction de l'adversaire (le rasage de Thèbes par Alexandre le Grand est un fait exceptionnel) : à un moment donné, un des antagonistes crie «pouce, j'ai perdu !» et accepte les conditions de l'autre. Il peut y avoir exil ou déportation d'une partie de la population, paiement d'une indemnité, installation d'un gouvernement à la botte du vainqueur, mais l'entité politique subsiste. Ainsi, Sparte ne détruit pas Athènes après l'avoir battue à plate couture à la fin de la guerre du Péloponnèse (et Athènes s'en relèvera).
Ceci explique l'inertie d'Hannibal, élevé par un précepteur grec et dont le comportement a toujours été celui d'un prince hellénistique, après la bataille de Cannes : il n'attaque pas Rome par manque de moyens, mais parce que, de son point de vue, il est vainqueur. Il a détruit l'armée romaine, a détaché de Rome ses meilleurs alliés/sujets (Capoue, Syracuse, l'Italie du Sud), a rendu l'indépendance aux Celtes d'Italie du Nord. Il attend les propositions de Rome... qui ne viendront jamais.
Parce que cette mentalité est étrangère aux romains de cette période. Pour eux, Rome ne peut pas s'avouer vaincue et une guerre ne peut s'achever que par la destruction ou l'assujettissement/absorption de l'adversaire (ce qui revient au même). Ce concept de «guerre totale» est nouveau dans l'Antiquité, à l'exception de l'empire assyrien (mais les assyriens étaient avant tout des prédateurs).
Cela se vérifie dans le cas de Carthage, qui est vaincue par deux fois, mais non détruite, et que Rome finit par détruire – la même année que Corinthe - (alors qu'elle a perdu sa puissance), non parce qu'elle la craint (à mon avis), mais parce qu'elle veut avoir le champ libre en Afrique.
Par ailleurs, on peut discuter des aspects négatifs ou positifs de l'impérialisme romain (et encore faudrait-il déterminer à quelle époque, car durant la période républicaine et longtemps après, Rome s'est contentée d'exploiter au maximum ses conquêtes), il n'en demeure pas moins que les conquêtes se sont traduites par des violences inimaginables. On estime que les campagnes de César en Gaule se sont traduites par la disparition d'au moins un million de personnes (morts au combat, réduction en esclavage...) soit probablement plus de 20% de la population.
Et pratiquement aucune acquisition ne s'est faite pacifiquement.
«Là où ils font un désert, ils appellent cela la paix» disait un chef germain, et cela devait être le sentiment de la plupart des nouveaux «heureux» sujets de Rome.
La notion d' empire universel n' a pas appartenu, à mon sens, à l' «idéologie» romaine. La «force des choses» comme disait Saint-Just a abouti au fait que l'empire romain recouvrait la plus grand partie de l'univers connue à l'époque et on trouve des traces, par exemple dans les «Pensées» de Marc Aurèle, de l'idée que le genre humain et la population de l'empire, l'univers et l'empire sont une même chose. Mais rien de voulu : c'est la même mentalité que la Chine impériale, qui prétendait être la seule partie civilisée de l'univers, les autres nations n'étant que des barbares et leurs dirigeants des vassaux du Fils du Ciel.
A mon avis, le seul empire qui ait prétendu et tenté consciemment de conquérir l'univers entier est l'empire mongol.